Tokyo! " Some get strong, some get strange..." Neil Young
De la monstruosité.
Ce triptyque sur la ville dénonce son artificialité qui déforme l’homme, le rendant monstrueux. Angoisse de la foule ou de la ville désertée chez Bong Joon-ho, où le segment Shaking Tokyo imagine un possible renversement des rôles grâce aux tremblements de terre. Ceci se meut en angoisse existentielle dans le segment de Gondry, où une jeune femme tente de trouver sa place dans une société saturée où la question de l’utilité d’être se pose. Comme à son habitude, le réalisateur y répond par une pirouette absurde et fantaisiste. Le mini pamphlet de Léos Carax dénonce les préjugés de la « civilisation » face à l’homme primitif, incarné par un Dennis Lavant hautement inspiré en rebelle crasseux et chargé de violence inintelligible. L’interchangeabilité des rôles – et donc des êtres- ouvre une brèche sur la possibilité d’une compréhension mutuelle, qui culminera chez le réalisateur coréen. Finalement, la paix du monde intérieur de l’hikikomori ( personne vivant recluse chez elle) est comparable à la sérénité de ce plan dans les égouts, où l’homme sauvage dort nu entouré de fleurs. De la poésie dans la merde comme métaphore de l'art? En lutte contre le chaos extérieur, l’une se transforme, l’autre explose, le dernier se barricade. Mais quel autre choix que la solitude face au rejet ? Avec crudité (Merde), poésie (Shaking Tokyo) ou fantaisie (Interior Design), cette thématique de la ville et de son (in)humanité ne pouvait qu’engendrer cette réflexion universelle sur la peur de l’autre, d’où une esthétique de l’étrangeté. Mais le format court provoque une certaine frustration, chacun des sketches peignant l’esquisse d’un univers inachevé, d’où ce sentiment d’incomplétude. Contrairement à un Paris je t’aime, Tokyo ! n’est pas une ode à la capitale nippone, mais plutôt une réflexion sur la déshumanisation infligée par une vie citadine qui fabrique des marginaux de tous poils.
Sophie de La Serre